Un Jour Nouveau: “la transformation née d’une vision partagée”

Partout à travers le monde, il y a des politiques et des projets qui visent souvent à éradiquer l’exclusion et l’injustice dont sont victimes certaines populations. Dans mon parcours  professionnel j’ai réalisé que malgré  la volonté de promouvoir le bien être de tous, il est des aspects qui échappent aux stratégies de développement dans le but de provoquer une véritable action transformatrice. Ainsi des théories, des discours et des normes non adaptées provoquent dans les sociétés des attitudes qui bloquent le développement.

Certes l’aide humanitaire répond à des situations calamiteuses et soulagent la détresse de certaines communautés; mais suffit-elle pour relever le développement d’un pays tout entier? Comment bâtir des projets qui inspirent réellement les communautés et font d’elles leurs propres solutions? Certaines situations rencontrées dans mon parcours professionnel me permettent d’aborder une réflexion qui, étayée sur des faits actuels et passés, illustre l’approche développée par Un jour Nouveau.

La réalité paradoxale de la compréhension de l’aide.

La réalité de l’aide humanitaire est paradoxale et parfois mal comprise. Par exemple certaines communautés s’habituent à la gratuité en se faisant une idée erronée de l’aide financière qui leur est offerte.

L’expression « Makuta ya Munyama » (soit “l’argent de la bête de l’apocalypse”) utilisée à l’est de la RDC, résume bien le sens que les communautés risquent de donner à l’aide humanitaire. Cela sous-entendrait recevoir passivement, perdre le goût de l’effort nécessaire pour se développer soi-même.

Parfois le modèle capitaliste, qui repose sur un principe inégalitaire, promeut une partie des communautés en négligeant la majorité. On voit alors partout dans le monde et en RDC en particulier, des familles enfermées dans la prison de la pauvreté.

Face à ces situations, deux questions se posent : comment faire évoluer les mentalités des communautés congolaises ? Comment exploiter leurs talents , à leur avantage ?

Quelques récits vécus dans différents endroits me permettent d’éclairer modestement ces questions, spécialement grâce au modèle de Un Jour Nouveau, organisation soucieuse d’aider les membres de la communauté à se tenir debout.

Eviter le gâchis des potentiels

Au Burkina-Faso en 2015, j’ai rencontré une femme de 30 ans née et grandi dans la rue. Chaque fois qu’il y avait réunion des membres de la communauté, elle évitait de se présenter avec sa fille. Quand elle était présente sa fille était toujours absente. Un Jour, après une réunion des membres de la communauté, je me suis rendu chez elle. Elle était pieds nus, assise sur un pneu de taxi transformé en chaise. Elle m’a fait savoir que sa fille était à l’école et qu’elles ne possédaient qu’une paire de babouches qu’elles partageaient. Deux semaines plus tard nous lui avons trouvé du travail de ménagère chez une amie. Elle a travaillé pendant deux mois et puis elle est venue nous dire qu’elle arrêtait. Pourtant, chaque jour quand je la voyais sur son lieu de travail, elle me racontait que tout allait bien. Mais elle n’avait pas osé me raconter la raison de sa démission. Je pense que nous l’avions orientée vers un métier qui ne lui convenait pas. Alors que son don de transformation des pneus, qu’elle avait développé je ne sais comment, suscitait sa créativité, venait au secours de sa famille et, de plus, contribuait à la protection de l’environnement.

Eviter une conception erronée d’un travail qui développe

Dans la province du Sud-Kivu, en territoire de Mwenga, j’ai été bouleversé en Juin 2018 par un événement . C’était le 30 Juin, l’anniversaire de l’indépendance de la République Démocratique du Congo.

Je me trouvais en mission à Luhwindja, une chefferie située à environ 90 Kilomètres de la ville de Bukavu.

Je faisais un tour dans le quartier vers 20 heures, quand j’ai remarqué, derrière les maisons commerciales situées le long de la route, dans la pénombre, une petite maison en terre battue. Elle était particulièrement obscure. Toutes les autres maisons voisines étaient éclairées, la lumière passait par les fentes des fenêtres et des portes. Je me suis approché et j’ai frappé à la porte. Quelqu’un a ouvert, mais je n’ai vu  personne dans l’obscurité. J’ai allumé la torche de mon téléphone et j’ai vu cinq enfants avec des habits déchirés, couverts de poussière. Ils avaient joué toute la journée et n’avaient personne pour les laver le soir. L’aîné, d’environ 11 ans, était devant moi. C’est lui qui avait timidement ouvert la porte.

J’ai demandé si leur maman était là et ils ont dit qu’elle était partie en ville à Bukavu pour revenir une semaine après. J’ai demandé s’ils avaient déjà mangé et tous ont simultanément répondu: “Non”. L’aîné n’a pas réagi. J’ai compris que dans son impuissance, il se sentait responsable des autres.

Aussitôt je suis parti au restaurant où je mangeais quand j’étais en mission, et j’ai pris  deux plats que l’aîné a rapportés à ses frères et sœurs. Les enfants se sont régalés comme s’ils avaient jeûné une semaine durant.

Le lendemain matin, je suis parti les voir avant d’aller à l’église. Ils étaient dehors, recroquevillés les uns sur les autres. Je sentais le froid, alors que j’avais un pull. Eux ne portaient rien. Dans les montagnes des villages du Sud-Kivu, il fait frais la nuit et le matin, il faut attendre le soleil pour se réchauffer…Ces enfants étaient coupés de la société par la pauvrété, tandis qu’une entreprise canadienne produisait de l’or dans ce village. Tous les membres du village rêvaient de travailler dans l’entreprise, même pour des salaires misérables. Toute autre initiative économique était ignorée. Le village sombrait dans la pauvreté alors que les champs étaient non cultivés. Les enfants souffraient de la malnutrition.

La nourriture que j’ai donnée aux enfants ne pouvait pas suffire, assurément à aider au développement du village. Quelques femmes avaient bien bénéficié des subventions d’un projet négocié par le Dr Denis MUKWEGE mais la plupart avaient déjà tout consommé. Elles n’avaient plus de capital. Certaines, poussées par leur fierté, se sont activées à organiser des AGR. Elles ont pu subvenir à leurs besoins immédiats et améliorer la vie matérielle de leurs familles.

Cette fierté me rappelle un souvenir d’il y a environ 20 ans. Un enfant passait dans mon quartier avec des habits déchirés. Des passants se moquaient, mais l’enfant y semblait insensible. Une semaine après je lui ai demandé s’il n’était pas affecté par ces moqueries et il me répondit: « Maman m’a dit qu’on doit être fier de ce qu’on reçoit de ses parents ». Sa maman ramassait des pierres dans une rivière et les cassait pour les revendre en vue d’avoir de quoi nourrir et scolariser ses enfants. Parfois elle travaillait toute la nuit pour casser plus des pierres et vendre plus. Aujourd’hui son enfant est devenu coordinateur d’une ONG Internationale en RDC. Chaque jour, quand j’y repense, je me dis : dans ces shorts déchirés des enfants que je rencontre, il y a la sueur de leurs parents qui ont travaillé dur pour les habiller.

J’ai compris que le travail rend les individus fiers de ce qu’ils sont. Mais je sentais qu’à mon activité humanitaire il manquait quelque chose. Jusqu’à ma rencontre avec Camille et Esther NTOTO, fondateurs de l’organisation Un Jour Nouveau.

Une vision transformatrice

Photo Un Jour Nouveau, Pasteur Camille au milieu entouré par les étudiants de la 23ème session de formation sur le leadership transformationnel

Cette association a comme mission d’aider chaque individu à découvrir, développer et déployer son potentiel. Elle vise un Congo paisible et prospère où chaque individu fait partie de la solution. À travers ses domaines d’intervention (Éducation, Protection et Entreprenariat Social), elle permet à chaque individu de devenir une solution pour lui, sa famille, sa communauté, le Congo et l’humanité.

Cette vision contribue à construire une société épanouie, dans laquelle l’effort individuel transforme les modèles  de développement en faisant en sorte que chacun devienne une solution pour lui-même et pour les autres. Ce modèle  a fait ses preuves avec plusieurs projets. On peut le comprendre à travers ce récit d’une bénéficiaire d’un projet d’encadrement des femmes financé par l’organisation Eastern Congo Initiative, ECI en sigle.

Découvrir et déployer son potentiel pour  transformer les croyances

“Je suis née à Kasangani, mes parents se sont séparés dix mois après ma naissance. Ma mère me dit souvent qu’après leur séparation, la vie était devenue difficile. À l’âge de 14 ans, pendant la guerre, j’ai été victime d’un viol. J’ai conçu. Après six mois j’ai été abandonnée par la famille. J’ai eu un enfant. La vie est devenue difficile. Huit mois après mon accouchement, c’était difficile de vivre seule. J’ai choisi de vivre en couple à l’âge de 15 ans. J’ai eu deux autres enfants avec mon mari qui est malheureusement décédé quelques années après. La famille m’a donné comme abri un chantier dont j’assurais la garde. Il n’avait ni porte, ni fenêtre. J’ai commencé à faire la lessive pour recevoir un peu d’argent mais cela ne suffisait pas. J’ai connu plusieurs difficultés.

Un jour ma fille de 12 ans a été kidnappée. Et pendant que j’étais encore sous le choc, le propriétaire du chantier que j’occupais m’a dit qu’il voulait le récupérer pour y vivre. J’étais perdue, je ne savais pas quoi faire que j’ai commencé à penser que Dieu ne me connaissait pas. Je suis partie au lac un soir, je voulais me suicider en me jetant à l’eau. Mes enfants m’avaient suivie en pleurant sans cesse. Je pensais que si je mourrais quelqu’un s’occuperait des orphelins. Soudain, je me suis rappelée d’une phrase biblique :”L’Eternel est mon berger. Je ne manquerai de rien”. J’ai pris courage, je me suis détourné de ce que je voulais faire et je suis rentré à la maison.

Le lendemain j’ai rejoint un groupe de femmes encadrées par Un Jour Nouveau. Maman Esther l’animait. Et comme  Dieu fait toute chose bonne raison en son temps, Maman Esther m’a inscrite au programme des femmes qui bénéficiaient d’une formation en métiers. J’avais peur de ne pas y arriver. Toute ma vie, j’avais été vue comme une moins que rien. Maman Esther m’a encouragée et avec le soutien des membres du groupe je me suis bien intégrée. Une année après, le responsable du groupe a changé de province. Il m’a été demandé d’assumer sa responsabilité. C’est comme ça que l’esprit du leadership a été réveillé en moi. Dans l’exercice de mes fonctions j’ai compris que j’avais la capacité d’animer le groupe. Nous avons commencé à produire les habits et d’autres articles que nous vendions.

Média Un Jour Nouveau, Mai 2020. Les femmes bénéficiaires produisant des masques dans leur atelier de couture,​

Après, ECI nous a accordé une subvention et nous avons ouvert un atelier de couture. Nous produisons des articles et une partie des revenus générés sert à payer le matériel et l’autre est partagée aux femmes. C’est comme ça qu’avec une amie nous avons pris une maison en location…

Aujourd’hui nous encadrons d’autres femmes dans cet atelier. Nous avons des marchés, mais rencontrons encore quelques défis qui ne nous permettent pas d’être compétitives. Nous rêvons acheter des machines qui nous permettrons de produire des tricots à fournir aux enfants de différentes écoles de Goma. Cela nous fera encore gagner plus tout en gardant la perspective du service”.

Des projets comme celui de  ECI ont permis à Un Jour Nouveau  de toucher 74.261 personnes entre 2010 et 2020. Les fonds sont accordés suivant le modèle de l’entreprenariat social développé/soutenu par des formations et d’autres activités. Ainsi les bénéficiaires se sentent responsables et fiers de pouvoir travailler pour leur propre réussite.

Quelques faits probants à retenir

La confrontation des différents récits avec l’expérience du projet ECI fait ressortir quelques faits:

  • Même dans la misère la plus profonde Dieu intervient pour ses enfants. Il est un devoir pour l’humanité de se battre pour que chaque habitant de la planète puisse être fier d’y habiter. Pour cela il est important de repenser nos modèles.
  • L’incubateur Un Jour Nouveau murit avec les membres des communautés les projets et les conduit à produire des Plans d’Affaires et à mettre en place leurs propres entreprises. Ainsi l’entreprenariat devient une approche appropriée pour chaque membre de la communauté. Cette approche rend les personnes fières de ce qu’elles bâtissent, de ce qu’elles possèdent, de ce qu’elles vivent, de ce qu’elles deviennent au quotidien. A travers cette approche, Un Jour Nouveau a expérimenté que “la vision transformatrice” est la solution à la détresse, à la destruction de l’image de la RDC, à la dénaturation du sens de l’action humanitaire. Aucun humain n’est dépourvu de valeur. C’est pour cela que Un Jour Nouveau forme au leadership depuis l’école maternelle et dans tous ses programmes.
  • Si chaque personne arrive à découvrir qu’elle est une solution pour un problème de la société et trouve un appui nécessaire pour déployer son talent, chacun retrouvera la joie de faire ce pour quoi il a été créé et vivra heureux.

Il est temps d’arrêter de gâcher les talents, il est impérieux de cesser de penser que la solution viendra d’ailleurs. Le talent de chacun joue un rôle dans sa communauté comme les pions d’un jeu de dame et les joueurs dans un match de football. La vision transformatrice de la société congolaise devrait ressembler à une équipe de football. Chacun doit jouer pour la victoire. Si l’attaque marque des buts et la défense encaisse c’est toute l’équipe qui perte. Il est temps d’apprendre à faire jouer tout le monde. Pour Un Jour Nouveau il n’y a pas d’un côté ceux qui jouent au football et de l’autre côté ceux qui regardent le match. La solution est dans chacun de nous.

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